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Tisseurs de Liens

29/11/2023
Yasmine Krc, étudiante-journaliste à l'IHECS, est venue à la rencontre du Service Médiation du Refuge. Une équipe aux missions peu communes dont elle compte le quotidien.

C’est dans la province du Hainaut, à Mouscron, qu’a ouvert en 2019, le plus grand centre d’accueil de Belgique. Le bâtiment, qu’occupait autrefois l’hôpital le Refuge et qui a fermé ses portes en 2010, accueille maintenant près de 800 personnes. Celui-ci ne se situe pas en périphérie ou en campagne mais bien au centre de la ville, dans quartier bien connu du Tuquet. Le Centre Fedasil de Mouscron accueille aujourd’hui près de 900 demandeurs de protection internationale, appelés jadis des demandeurs d’asile . Ce qui différencie le centre de Mouscron des autres centres, c’est qu’il est le seul avec celui du Petit-Château à Molenbeek, à disposer d’un service de Médiation. Mais pour quoi faire ?

Une Journée à la Médiation

Mardi matin, Sofiane accompagne trois résidents en ville pour acheter des lunettes de vue. Un chauffeur les emmène. Parmi eux, Judith. C’est la première fois qu’elle va porter des lunettes, alors elle hésite puis finit par trouver la paire qu’il lui plait. Les autres mettent du temps à choisir, Judith a peur d’être en retard à son rendez-vous au centre. Une fois rentrés, les résidents partent de leur côté et Sofiane encode ce qui a été commandé. Le briefing du matin avec les représentants de tous les services a énoncé les différents problèmes rencontrés. Pour le service médiation, c’est aussi le moment de savoir s’ils doivent agir sur certains points. Ce matin-là, un homme se dit désespéré car le service médical aurait perdu l’ordonnance de sa fille. Sem, un des médiateurs intervient donc afin d’apaiser les craintes du monsieur avant qu’une solution ne soit trouvée. Voilà, un exemple concret du rôle du service de médiation.

Sur l’heure de midi, le service assure également la surveillance du réfectoire durant les 30 premières minutes afin de prendre la température. Il peut parfois y avoir des tensions. Par exemple si un résident n’est pas satisfait de la quantité de nourriture reçue ou si certains se permettent de dépasser dans la file. Aujourd’hui, rien à signaler, tout a l’air de rouler. À la fin de la surveillance, Céline aperçoit un résident qui a l’air perdu. Il porte deux gros sacs, ceux qu’on donne aux nouveaux arrivants. En allant vers lui, elle comprend qu’il est malentendant et ne parle qu’arabe, la communication est difficile. Elle finit par comprendre qu’il est arrivé plus tôt que prévu et que par conséquent, on ne lui avait pas encore assigné de chambre. Même si ce n’est pas son rôle en tant que médiatrice, elle essaye de régler au plus vite le problème. L’homme, d’origine palestinienne, est arrivé de Bruxelles et a l’air fatigué. Elle finira par lui trouver une chambre qu’il devra partager avec trois jeunes Afghans. Les jeunes n'étaient pas ravis de l‘accueillir car il pensait pouvoir accueillir un ami à eux mais après discussion avec Céline, ils finissent par lui serrer la main et lui souhaiter la bienvenue. L’homme restera dans cette chambre temporairement avant qu’on ne lui trouve une plus adaptée à son âge.

Après une petite pause pour manger, c’est la permanence de la médiation qui commence jusque 16h. Les résidents viennent sans rendez-vous pour différentes raisons. Une femme entre dans le bureau avec son fils, il s’amuse avec un lego et grimpe sur une chaise du bureau. Elle souhaite que Sofiane l’inscrive au Forem. Pendant ce temps, Sem se rend à la commune avec un résident car celui-ci n’arrive pas à se faire comprendre auprès des travailleurs du lieu.

Une ville dans une ville

C’est Sofiane qui nous fait la visite du centre. On s’y promène, les couloirs se ressemblent, on pourrait s’y perdre facilement. Il y a un étage pour les MENA (mineurs étrangers non accompagnés) où un panneau interdit au plus de 18 ans est affiché. Ici, c’est chez eux et pour eux, ils disposent d’une salle où ils peuvent s’amuser, faire leurs devoirs après l’école et d’un bureau avec des éducateurs qui ne se consacrent qu’à eux. On descend à l’étage du bas, réservé aux personnes vulnérables comme une femme enceinte ou une personne avec un handicap physique. Et puis, il y a tout le reste, des chambres de 2 à 8 personnes assez grandes pour dormir et y déposer quelques affaires. Les familles, elles, vivent dans une même chambre, sans intimité les uns avec les autres. Et pour les personnes isolées, elles se doivent de cohabiter avec des inconnus. Même si la loi parle de 4 à 6 mois pour qu’un demandeur reçoive une décision, dans les faits il faudrait plus de 18 mois. Une petite cinquante de résidents du centre de Mouscron sont d’ailleurs là depuis l’ouverture du Refuge : c’est-à-dire bientôt 5 ans.

Tisser du lien

A ses débuts, le centre a connu d’importantes tensions. La direction a alors eu l’idée de créer une équipe spéciale dont la mission serait de créer du lien, de la confiance entre résidents mais aussi avec ces nouveaux médiateurs. Chaque jour, ils tentent de créer, de faire perdurer les conditions propices au développement de ces relations. Ils sont en contact permanent avec la plupart des résidents. On peut d’ailleurs constater qu’ils connaissent presque tout le monde. En se promenant dans le centre, les résidents sont toujours souriants et contents de leur dire bonjour. Dès leur arrivée, les médiateurs leurs font comprendre qu’ils peuvent compter sur eux en cas de problème, s’ils ne se sentent pas bien ou ont juste envie de parler. Le rôle d’un médiateur c’est aussi parfois aussi simple que de sortir de son bureau et d’aller discuter avec tout le monde. Il y a aussi des évènements qui sont organisés, comme le fameux tour du monde qui a lieu tous les six mois et où les différents pays présents au centre sont mis à l’honneur avec des plats traditionnels et des vêtements culturels. Il y a aussi le conseil des résidents, des tournois, de la sensibilisation, tout ça dans le but de favoriser la rencontre entre les différentes communautés qui constituent le centre. « Les journées ne se ressemblent pas » nous raconte Sofiane. Chaque matin, les médiateurs reçoivent des informations relatives à des problèmes de cohabitation ou d’isolement de l’un ou l’autre résident. Ce n’est pas facile tous les jours, les histoire qu’ils écoutent sont parfois lourdes, les solutions à appliquer parfois tout autant. Cependant, toutes et tous se sentent animés d’une mission importante : favoriser le bien vivre-ensemble au sein du Centre. Une mission qui leur fait aimer ce qu’ils font.